AFFAIRE PAD -YOUPWÉ-ESSENGUÉ: COMPRENDRE LE DIFFÉREND DOMANIAL ENTRE L’ONPC ET LES POPULATIONS
Mon témoignage, afin que nul n’ignore
Par Sa Majesté Célestin Bedzigui Ancien Cadre ONPC 1974-1978
La compréhension de ce qui a tendance à devenir une crise sociale sur fond d’injustices requière une connaissance du contexte historique du développement du Port de Douala et de l’occupation de la zone de Youpwe.
Tout commence au tout début des années 70. À l’époque, les Ports sont sous la tutelle de la Direction des Ports et Voies Navigables du Ministère des Transports.
*Monsieur Simon Ngann Yonn,* Ingénieur des Ponts et Chaussées, Directeur, initie une réforme qui aboutit à la création de l’ Office des Ports et Voies Navigables dont il devient le premier Directeur Général.
A cette époque, les eaux du Wouri s’étendaient juste au bas de la falaise de l’ Hotel Meridien, dans une zone qui hébergeait une cité de cadres du port et la Marina qui était un petit port de plaisance.
Il engage dès sa prise de fonctions, le développement du projet d’extension du port de Douala dont la charge revient au Directeur Général Adjoint, Michel Lebrishual, Ingénieur Général des Ponts et Chaussées qui met en place une cellule Prospective et Développement que jeune cadre j’intégre. J’y trouve des aînés arrivés quelques temps avant moi, Emmanuel Bityeki, Ingénieur Centralien, David Minkousse, Ingénieur des Ponts et Chaussées, Mvondo Bernardin, diplômé du MIT, Joseph Ndi, Diplômé de Sup de Co Paris, Raymond Olomo, Diplômé en traduction.
Les orientations définies par notre cellule auront les articulations principales suivantes:
– Approfondir le chenal en le faisant passer de la côte -4 mètres à la côte – 7 mètres;
– Gagner du terrain sur la mer en récupèrant du sable du lit du fleuve par le dragage du chenal pour créer des terrepleins qui seront affectés en zone polyvalente devant permettre la création d’une zone industrielle dont l’occupant le plus emblématique à l’époque sera ELF, une zone de transit UDEAC et domestique,
une base élargie de la Marine Nationale,
– Doubler le nombre de quai généraliste jouxtant la capitainerie ;
– Créer un terminal conteneur,
– le renforcement du port de pêche en amont ;
– l’extension du terminal mineralier sur la rive Bonaberi ;
– Créer un bras mort cote rive Deido en amont du pont pour une extenstion des zones exploitables.
– l’aménagement de l’accès à la zone de mangrove en aval à Youpwe pour le développement des activités de pêches traditionnelles, de cabotage avec les pays voisins et l’occupation de cette zone par les populations dans un environnement semi-urbanisé.
C’est ce schéma que le Président Ahidjo agréera, un soin et un souci particulier étant mis sur la possibilité et le droit laissé aux populations autochtones , actives et résidentielles de partager paisiblement l’occupation des zones gagnées sur la mer et à aménager.
Ce sera l’entreprise hollandaise Bos and Khalis qui sera le maître d’œuvre du dragage et de ces terre pleins dont l’affectation sera la suivante :
– le domaine portuaire se limitera aux terre pleins industriels et à la zone dite « UDEAC », ĺa limite Ouest étant sur une emprise de quelques centaines de mètres, sans empiéter sur la zone de Youpwe.
– la Communauté Urbaine aura la main sur les voies d’accès et dont notamment le rond point Youpwe.
– de l’entrée dans Youpwe jusqu’au marché et à la zone de mangrove, c’était une zone relevant du domaine public de l’ Etat dont la propriété était attribuée à qui mettrait les espaces en valeur. Des cartes topographiques portant sur ces délimitations ont été établies à l’époque et sont disponibles dans les archives du Port.
En conclusion, nous voulons que l’opinion soit éclairée et informée que la zone occupée par le quartier Youpwe n’a jamais était inclue dans la zone portuaire telle que définie au moment de l’extension du Port de Douala au début des années 1970. Toute clôture ou mur construit en s’adossant à une telle pretention releverait d’un empiètement leonin. La nécessité de sauvegarder les droits acquis par les uns et les autres commande la prise en compte de cette vérité.
COMPRENDRE L’ÉVOLUTION DE YOUPWE DEPUIS 1990
D’abord lent et progressif, l’urbanisation voire l’extension de Youpwe s’est accélérée dès les années 1990. La croissance galopante de Youpwe a donné naissance à un quartier aux dimensions insoupçonnables, constitué d’une population hétéroclite.
III.1-La formation du grand quartier
La décennie 1990 a été un tournant décisif dans le développement du quartier Youpwe. L’on a assisté pendant ce laps de temps à un agrandissement tout azimut de l’espace qui porte le nom du quartier aujourd’hui. C’est également au cours de cette décennie que le processus de modernisation du quartier s’est amorcé. Concernant l’agrandissement du quartier l’on est passé des bâtisses confinées sur un espace restreint notamment au tour du marché de poisson, aux bâtisses modernes constituées de villas et des maisons à plusieurs appartements disséminées de part et d’autres du quartier. Le quartier Youpwe qui de nos jours, a une superficie de 130 ha environ (lambeaux de forêts inclus) est entré dans une phase de modernisation à cause du nombre de plus en plus important des habitations et des populations qui s’installent dans cette partie de la ville. Cette modernisation du quartier s’illustre par la création des voies de desserte par la municipalité, la création des écoles, des hôpitaux, mais aussi des complexes hôteliers et industriels. En tout état de cause, il va de soi que Youpwe est passé du statut d’un village de pêcheurs aux dimensions restreintes à un espace plus vaste et moderne dès 1990, composé d’une population cosmopolite. Cette évolution du quartier Youpwe a été favorisée par le laisser aller des autorités en charge de la gestion des villes.
III.2-La composition ethnique du quartier Youpwe
A l’image de la ville de Douala, le quartier Youpwe regorge une multitude de peuples africains et camerounais qui vaquent quotidiennement à des activités diverses. Les différents peuples installés de façon confuse dans le quartier ne versent point dans la ségrégation.
Une enquête sociale réalisée auprès de 238 individus, a permis de décrypter l’origine des populations installées à Youpwe.
Tableau n°2 : Effectifs et pourcentage des ethnies représentées à Youpwe

Source : Enquête de terrains, (Août 2007)
Fig. n°2 : Composition ethnique du quartier Youpwe

Source : Enquête de terrain, (Août 2007)
En effet, d’après l’enquête sociale réalisée à Youpwe, 15 % de la population interrogée estime être expatriés. Ces expatriés sont en grande partie des ressortissants de l’Afrique de l’Ouest. Les nationalités africaines les plus représentatives à Youpwe sont : les Nigérians, les Nigériens, les Ghanéens et les Togolais. Ces expatriés solidement implantés se livrent aux activités informelles telles que le petit commerce (bon nombre de ces expatriés sont détenteurs de petites échoppes). D’autres par ailleurs exercent dans la maintenance des pirogues à moteurs ; une dernière frange des expatriés se retrouve dans la pêche artisanale et l’exploitation du sable.
Par ailleurs, l’enquête a permis de déceler les groupes ethniques camerounais présents au quartier Youpwe. Parmi ces groupes, nous relevons les Douala qui sont autochtones et les groupes rapprochés de ceux-ci à savoir : les Pongo, Balimba, Bakoko, Abo, Yabassi, etc. … L’ensemble constitué des Douala et ethnies rapprochées aux Douala représente 50 % de la population de Youpwe. Les Bassa quant à eux sont peu nombreux, ils représentent 5 % de la population malgré la proximité des quartiers Nkongmondo, Babylone, New-Bell, considérés comme les quartiers spécifiquement Bassa. Les Bamiléké par contre représentent 20 % de la population. D’autres groupes ethniques parmi lesquels les ressortissants du Nord-Ouest et du Nord Cameroun particulièrement peuplent Youpwe.
Conclusion
En somme, Youpwe est un quartier cosmopolite qui regroupe des peuples d’origines diverses, qui s’intègrent merveilleusement les uns les autres et vivent en toute quiétude sur des terrains conquis dans la forêt de mangrove. La faim foncière, résultante de l’explosion démographique de la ville explique à suffisance la ruée humaine vers cet espace estuarien riche de signification pour les populations autochtones pour qui, la mangrove, dans une certaine mesure mérite respect et protection. Malgré les contraintes du milieu, les populations sont de plus en plus attirées par la localité de Youpwe. L’exploitation des ressources dont regorge la mangrove est incontestablement la raison qui justifie ce phénomène.